Elisabeth Lemaire, chercheuse CNRS à l'Institut de Physique de Nice, étudie l’écoulement des mélanges de solides et de liquides. Elle cherche à comprendre comment ces mélanges s'écoulent sous l’effet de forces. Ses travaux, appliqués aux carburants des fusées et à la médecine, participent à des innovations industrielles
Les coulisses d'une carrière en recherche
Elisabeth Lemaire, chercheuse CNRS à l'Institut de Physique de Nice, étudie l’écoulement des mélanges de solides et de liquides. Elle cherche à comprendre comment ces mélanges s'écoulent sous l’effet de forces. Ses travaux, appliqués aux carburants des fusées et à la médecine, participent à des innovations industrielles
Qu'est-ce qui vous a initialement attiré vers votre domaine de recherche ?
«Au lycée j’hésitais entre me lancer dans des études de Philo ou des études de Physique. Dans les deux cas, je crois que ce qui m’attirait était de vouloir comprendre le monde qui nous entoure. J’ai choisi la Physique sur les conseils de mon prof de Philo qui était un peu déprimé par le niveau des élèves au lycée et voulait m’éviter de subir la même choses….
Au cours de mes études de physique, j’ai d’abord été surtout intéressée par la physique dite « théorique » (mécanique quantique, relativité générale, cosmologie…), sans doute encore pour tenter de comprendre notre monde. J’ai hésité jusqu’au dernier moment (à l’époque on se spécialisait en 5ème année).
En fin de quatrième année, je me suis rendue compte que la physique théorique ne me permettrait pas de beaucoup mieux comprendre le monde mais simplement de repousser un peu les limites de ma compréhension ; dans le même temps, j’ai assisté à une conférence sur les fluides non-newtoniens et j’ai été subjuguée….»
Y a-t-il eu un moment particulier dans votre vie où vous avez sur que vous vouliez devenir chercheuse ?
«Non, tant que j’étais étudiante, ou plus exactement jusqu’en quatrième année, je pensais que le métier de chercheur était réservé aux génies et je n’osais pas envisager que je deviendrais chercheur un jour. Et puis quand j’ai côtoyé les chercheurs, en cinquième année et puis, bien sûr, au cours de ma thèse, je me suis rendue compte que la recherche était un métier exigeant mais accessible.»
En quoi consiste votre recherche ?
« Je travaille depuis très longtemps avec Ariane Group pour comprendre l’écoulement des propergols qui sont les carburants des fusées Ariane. C’est une application directe de mes recherches. Je débute des recherches sur les écoulements sanguins en tentant d’appliquer au sang les descriptions que nous avons des suspensions concentrées. »
Ses inspirations
« Les articles de recherche de mes collègues et les discussions que j’ai pu avoir avec certains d’entre eux. Les contrats industriels plus appliqués sont aussi une source d’inspiration car ils sont parfois l’occasion de découvrir une question qu’on ne se serait pas posé autrement. »
La médiation scientifique selon Elisabeth Lemaire
Que vous apporte de parler de vos recherches au grand public ?
« C’est un exercice intellectuel intéressant car on est obligé de simplifier mais il ne faut quand même jamais s’éloigner de la vérité… Par ailleurs, même si j’aime mon métier de chercheur, je le trouve un peu aride.
On est finalement souvent seul et quand on collabore ou lorsqu'on va en congrès, on rencontre toujours des clones. J’aime la diversité du grand public qu’on est amené à rencontrer quand on fait de la médiation. »
Partager vos recherches avec les scolaires est-il un moyen efficace pour leur donner envie de s'intéresser aux sciences et pourquoi pas de s’orienter vers les sciences ?
« Je crois que c’est utile, peut-être surtout pour la physique qui a mauvaise presse et la réputation d’être une science difficile alors qu’en réalité, c’est avant tout une science expérimentale qui, sur beaucoup d’aspects, ne demande pas d’extravagantes aptitudes d’abstraction. »
Auriez-vous une anecdote à partager en lien avec votre expérience en médiation scientifique ?
« Dans les années 90, nous avions monté avec quelques collègues une association de vulgarisation « Touchez la science » et nous nous produisions dans des conditions un peu rock en roll chaque année au moment de la fête de la science qui venait d’être créée et qui n’avait pas encore fait l’objet d’une organisation universitaire.
Nous présentions une vingtaine de manips et l’une d’entre elles était la machine de wimshurst, une machine électrostatique qui permet de générer de potentiels de 20 ou 30 000 Volts. Ce n’est pas très dangereux car la machine est incapable de fournir un courant important donc, malgré la haute tension, il n’y a pas de danger d’électrocution. Nous proposions aux visiteurs, aux enfants de préférence, de se relier à la machine pour se retrouver avec un potentiel de 20 000V et d’être chargés électrostatiquement.
La charge portée par le « cobaye » se manifeste au niveau des cheveux qui deviennent tous chargés du même signe et se repoussent. Les cheveux se dressent alors sur la tête. Il fallait bien sûr placer les cobayes sur un socle isolant, sinon les charges électriques auraient rejoint la terre et, même s’il n’y a pas de risque d’électrocution, le cobaye aurait reçu une décharge qui peut être un peu douloureuse. Nous étions donc extrêmement attentifs.
Or un enfant handicapé moteur, en fauteuil roulant, voulait absolument tenter l’expérience. Nous avons déployé toute une batterie de tests pour vérifier que les pneus de son fauteuil étaient assez isolants pour le protéger d’une décharge. Nous avons alors pu « charger » notre jeune ami mais un de ses camarades amusé par les cheveux ébouriffés du premier, l’a montré du doigt en s’approchant d'un peu trop près…
Son doigt tendu a provoqué un effet de pointe (comme celui des paratonnerres), la charge électrique présente sur le premier enfant est passée par le second pour aller à la terre… Tous deux se sont pris une châtaigne qui leur a peut-être fait un peu mal mais qui les a fait beaucoup rire. Ceux là se souviendront de ce qu’est l’effet de pointe et comment fonctionnent les paratonnerres ! »
Que diriez-vous à un collègue pour le convaincre de faire de la médiation scientifique ?
« Je lui dirais que ça lui aèrerait l’esprit de sortir de son labo et de rencontrer des vraies personnes ! »
Pensez-vous que les décideurs politiques pourraient davantage échanger avec les chercheuses et les chercheurs pour prendre certaines décisions ?
« Quand je vois qu’Emmanuel Macron a décidé de piloter la recherche avec un conseil scientifique d’une dizaine de personnes et pratiquement indépendamment du ministère de la recherche et des grands organismes comme le CNRS, l’INRIA, l’INSERM… Je préfère ne pas répondre à la question. »
L'objet d'Elisabeth Lemaire
Pour sortir des sentiers battus, nous avons demandé à cette chercheuse de choisir un objet emblématique de ses études.
Le résultat ? Un mixeur à soupe !
« La physique, au moins celle que je fais, est une science expérimentale qui doit être basée sur l’observation. Quand vous moulinez votre soupe, vous pouvez voir ou sentir plein de phénomènes hydrodynamiques intéressants : l’attraction du pied à soupe vers le fond du récipient, l’écoulement tourbillonnaire, le mouvement des particules (bouts de légumes), leur fragmentation… »
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