Mécanismes cellulaires rares et alors ?

Projet ROPKIP : Interaction Piezo1/KCNN4 sur les globules rouges


 

Le traitement de maladies rares, c’est-à-dire, celles qui touchent chacune moins de 2000 personnes parmi la population générale, représente un enjeu de santé publique. En effet, près de 3 millions de français sont concernés par l’ensemble de ces maladies. Malgré cela, leur prise en charge est limitée, 25% des français touchés doivent attendre près de 4 ans pour être diagnostiqués. La stomatocytose héréditaire désydratée (DHSt) fait partie de ces pathologies.

Elle est extrêmement rare et touche moins d’une personne sur 50 000 naissances. Elle se traduit par une anémie hémolytique c’est à dire une destruction prématurée des globules rouges. Les globules rouges sont les cellules qui délivrent de l’oxygène à toutes les autres cellules de notre corps.

Ils se déplacent dans les vaisseaux sanguins et subissent constamment des contraintes physiques importantes, forces de friction le long des parois vasculaires, pression impulsée par la pompe cardiaque. Ils doivent aussi se faufiler dans les plus petits vaisseaux dont le diamètre est inférieur à celui du globule rouge. Cette cellule a des propriétés d’élasticité et de résistance qui lui permettent normalement de résister à ces contraintes pendant 120 jours.

Si on modifie son élasticité, il perd ses facultés de déformabilité. Il devient alors fragile et est détruit prématurément ce qui provoque une anémie. Son élasticité dépend de son contenu en eau qui est contrôlé par la membrane plasmique, l’enveloppe de la cellule. Cette membrane est une barrière étanche entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule avec des portes permettant à certaines substances de passer de façon contrôlée. En fonction de l’ouverture et de la fermeture de ces portes, des ions vont entrer ou sortir de la cellule et entrainer un mouvement d’eau à leur suite.

Le globule rouge va gonfler si les ions et l’eau entrent ou au contraire il va se dégonfler si des ions et de l’eau en sortent. Comme un ballon de baudruche qu’on gonfle ou qu’on dégonfle. Des anomalies de fonctionnement de ces portes, qu’on appelle des canaux ioniques, sont à l’origine d’une déshydratation anormale des globules rouges.

Aujourd’hui on connaît deux types de canaux ioniques dans la membrane des globules rouges dont le dysfonctionnement entraine une déshydratation des globules rouges : le canal PIEZO1 et le canal KCNN4. PIEZO1 s’active lorsque la membrane subit une pression. L’ouverture de cette porte permet de faire rentrer du calcium dans le globule rouge. La quantité de calcium augmente dans la cellule et cela déclenche l’ouverture d’une autre porte : le canal ionique KCNN4. L’ouverture de KCNN4 entraine une sortie de potassium. Cette sortie de potassium s’accompagne d’une sortie d’eau et le globule rouge se déshydrate. Dans des conditions normales, ce mécanisme est très peu actif.

Dans le cas de stomatocytose héréditaire déshydratée, ce mécanisme est sur-activé du fait de mutations sur le canal PIEZO1 ou sur le canal KCNN4. Ces mutations modifient leur sensibilité, c’est à dire qu’ils vont s’ouvrir plus facilement, ou bien rester ouverts plus longtemps. On aura une perte importante de potassium et d’eau responsable de la fragilité excessive du globule rouge cause de l’anémie. On comprend alors qu’iI existe une interaction fonctionnelle entre les canaux PIEZO1 et KCNN4.

Le projet ROPKIP entend analyser le couplage entre PIEZO1 et KCNN4, et identifier les cibles moléculaires susceptibles de réguler leur fonctionnement. La réussite du projet pourrait avoir un impact significatif sur le développement de solutions thérapeutiques, d’outils diagnostiques, et sur la compréhension des interactions moléculaires régulant la perméabilité de la membrane des globules rouges.

En travaillant sur la perméabilité des globules rouges de patients ayant des mutations sur le canal KCNN4 ou PIEZO1, en exprimant ces canaux ioniques mutés dans des cellules en culture, nous avons pu identifier une protéine qui contrôle l’activité du canal KCNN4. La découverte de ce mécanisme de régulation du canal KCNN4 désigne une nouvelle cible pharmacologique pour le maintien de l’équilibre hydrique du globule rouge. De plus, l’étude par les outils bioinformatique du canal KCNN4 a permis d’identifier le chemin emprunté par les ions potassium au travers du canal et la façon dont les mutations identifiées chez les patients modifient le fonctionnement du canal. Ces connaissances du fonctionnement à l’échelle moléculaire du canal KCNN4 sont essentielles pour appréhender les conséquences des mutations qui sont régulièrement découvertes chez des patients. Elles contribuent à améliorer la compréhension des stomatocytoses déshydratées qui est une maladie difficile à diagnostiquer.

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Entretien avec un chercheur : Le rôle des globules rouges dans la stomatocytose déshydratée

Qu'est-ce que la stomatocytose déshydratée ?

« La stomatocytose déshydratée est une maladie humaine héréditaire qui se manifeste par une anémie hémolytique, c’est à dire une destruction prématurée des globules rouges. Les globules rouges ont une morphologie anormale, forme de stomate qui a donné son nom à la maladie. Leur membrane est plus perméable au ions K+ que les globules rouges normaux et cela entraine un déficit en eau de ces cellules. C’est une maladie rare, on la détecte dans moins d’une naissance sur 50 000. Elle est due à des mutations sur des canaux ioniques : le canal PIEZO1 ou bien le canal KCNN4. »

En quoi consiste le rôle des globules rouges dans le corps humain ?

« Le rôle essentiel des globules rouges est de transporter les gaz respiratoires, le dioxygène (O2) et le dioxyde de carbone (CO2), dans notre corps. Le dioxygène dans l’air qu’on inspire se fixe sur l’hémoglobine contenue dans les globules rouges, la protéine qui donne la couleur rouge à ces cellules. Les globules rouges chargés en O2 au niveau des poumons vont transiter dans les vaisseaux sanguins et délivrer ce gaz à toutes nos cellules. Ce dioxygène est essentiel au fonctionnement des cellules qui le consomment et produisent du CO2 qui doit être éliminé. Les globules rouges en transportent une grande partie dans la circulation sanguine vers les poumons où le CO2 est éliminé via l’air expiré. Si nous manquons de globules rouges, nous ne pouvons pas oxygéner suffisamment nos tissus et le moindre effort nous épuise. Les globules rouges chez les humains sont des cellules qui n’ont pas de noyaux, pas d’ADN donc pas de possibilité de renouveler les protéines qui le composent. Ils sont produits dans la moelle osseuse par différenciation de cellules souches, chaque seconde 2 millions de globules rouges nouveaux arrivent dans la circulation et autant doivent disparaître pour maintenir un nombre constant de globule rouge dans notre sang. Des globules rouges vont se déplacer pendant 120 jours dans le système vasculaire avant d’être détruits. Dans la circulation sanguine, ils sont soumis à des forces de friction, de pression, ils doivent se faufiler à travers des capillaires extrêmement étroits dont le diamètre est inférieur au leur. Pour pouvoir résister à ces contraintes mécaniques ils doivent être à la fois élastiques, souples et résistants. Ces qualités dépendent d’une part de la flexibilité et résistance de leur membrane et d’autre part, de leur viscosité. »

Comment les anomalies de la perméabilité de la membrane peuvent-elles conduire à une déshydratation des globules rouges ?

« La perméabilité de la membrane des globules rouges permet de contrôler la viscosité de la cellule. Les globules rouges normaux sont très perméables aux anions (chlorure) et très peu perméables aux cations (sodium Na+, potassium K+, calcium Ca2+). Il existe un équilibre de ces ions de part et d’autre de la membrane, entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule. Si on perturbe cet équilibre on modifie le contenu en eau du globule rouge : si on augmente le contenu en cations, le globule rouge gonfle, si on le diminue, il dégonfle. Il y a beaucoup de K+ dans le globule rouge et peu de Na+ et encore moins de Ca2+. À l’extérieur de la cellule, c’est l’inverse beaucoup de Na+, du Ca2+ et peu de K+. Un système de canaux ioniques et de pompe dans la membrane permet de maintenir ce gradient d’ions en équilibre avec l’eau. Si cet équilibre ionique est modifié, le contenu en eau du globule rouge change. En particulier, si le globule rouge perd du K+ il se déshydrate et ça augmente sa viscosité. Ce globule rouge déshydraté devient fragile, difficilement déformable et il va être séquestré dans la rate et détruit prématurément. C’est ce mécanisme qui est en jeu dans la stomatocytose héréditaire déshydratée. »

Quel rôle jouent les canaux ioniques PIEZO1 et KCNN4 dans la physiologie des globules rouges ? 

« Il y a une dizaine d’années, on a identifié dans la membrane des globules rouges un canal ionique très particulier le canal PIEZO1. Ce canal fait partie d’une famille de canaux ioniques capables de transformer une énergie mécanique en une énergie chimique, leur découverte a fait l’objet d’un prix Nobel de physiologie en 2021. Dans la membrane du globule rouge ce canal PIEZO1 s’ouvre lorsque la cellule subit une pression : il permet aux cations Na+, K+, Ca2+ de diffuser suivant leur gradient, le Ca2+ et le Na+ vont entrer, le K+ va sortir. Les mouvements de Na+ et de K+ se compensent mais l’entrée de Ca2+ va être un signal pour activer un autre canal ionique de la membrane du globule rouge, le canal KCNN4. KCNN4 est un canal sélectif au potassium activé par le calcium.

Donc lorsque le globule rouge subit un stress mécanique PIEZO1 s’ouvre, le Ca2+ augmente dans la cellule ce qui stimule l’ouverture du canal KCNN4. L’ouverture de KCNN4 entraine une perte importante de K + qui s’accompagne d’une perte d’eau et le globule rouge se déshydrate. C’est un dérèglement de ce couplage fonctionnel entre PIEZO1 et KCNN4 qui est à l’origine de la déshydratation des globules rouges dans le cas de stomatocytose déshydratée. Le dérèglement de l’activité des canaux ioniques est provoqué par des mutations sur le canal PIEZO1 ou sur le canal KCNN4. Ces mutations sont dites gain de fonction car elles rendent ces canaux plus actifs et conduisent donc à une perte de K+ et d’eau importante qui n’est pas régulée. »

Quels sont les objectifs spécifiques du projet de recherche sur la stomatocytose désydratée ? Comment les résultats de cette recherche pourraient-ils influencer la prise en charge de cette maladie rare ?

« Dans le projet ROPKIP nous avons analysé le couplage entre PIEZO1 et KCNN4, dans le but d’identifier des moyens de réguler leur fonctionnement afin de proposer des pistes d’investigation thérapeutique pour prévenir les anémies hémolytiques associées aux mutations sur PIEZO1 ou KCNN4.

Notre approche multidisciplinaire a fait intervenir des cliniciens, des généticiens, des biologistes et des bioinformaticiens. Nous avons recherché par dépistage génétique d’éventuelles mutations sur PIEZO1 ou KCNN4 chez des patients présentant des signes d’anomalie des globules rouges. La perméabilité membranaire des globules rouges de ces patients a été étudiée en comparaison avec des globules rouges d’individus contrôle non porteur de mutations sur PIEZO1 ou KCNN4. Nous avons utilisé des cellules en culture pour y exprimer les canaux PIEZO1 ou KCNN4 et étudier comment les mutations modifiaient les propriétés d’ouverture et de fermeture de ces canaux ioniques et comment réguler le couplage fonctionnel entre PIEZO1 et KCNN4. Les outils de bioinformatique ont été utilisés pour modéliser KCNN4 et comprendre l’effet des mutations sur son fonctionnement à l’échelle de la molécule.

Ce projet nous a permis d’identifier de nouvelles mutations aussi bien sur le canal KCNN4 que sur le canal PIEZO1 associées à une anomalie de perméabilité des globules rouges. Nous avons également montré que les mutants du canal PIEZO1 avaient des comportements différents selon qu’ils étaient dans la membrane du globule rouge ou dans la membrane de cellules HEK293T, soulevant les limites des systèmes d’expression hétérologues pour étudier ces canaux ioniques et renforçant l’importance du contexte érythrocytaire pour le fonctionnement du couple PIEZO1/KCNN4. Nous avons décrit le cheminement des ions K+ à travers le canal KCNN4 et la façon dont les mutations impliquées dans la stomatocytose déshydratée héréditaire altèrent ce mécanisme. Enfin, nous avons décrit un nouveau mécanisme de régulation de l’activité du canal KCNN4 qui fait intervenir une pompe calcium. » 

Pourquoi le traitement des maladies rares est-il un enjeu de santé publique ?

« Les maladies rares touchent peu de personnes. En Europe, la définition d’une maladie rare est une maladie qui affecte moins d’une personne sur 2000. Mises ensemble, les maladies rares concernent tout de même ≈ 30 millions de personnes en Europe, 3 millions en France. Du fait de leur rareté, ces maladies sont moins connues aussi bien du public que des médecins ce qui représente un défi pour leur diagnostic et leur traitement. De plus, les intérêts économiques liés à leur traitement ne seront pas aussi élevés que pour d’autres pathologies plus répandues. Il est donc important que les états puissent financer des recherches sur les maladies rares dans l’intérêt des populations.

Le diagnostic des stomatocytoses héréditaires est difficile, les symptômes sont très variables selon les individus. Les anémies peuvent apparaître très tôt lors de la vie fœtale ou beaucoup plus tard à l’âge adulte. Les anomalies de comportement des globules rouges ne sont pas toujours manifestes et peuvent évoluer au cours du temps. Il y a aussi une grande variabilité selon les mutations. Néanmoins, il est important d’établir un diagnostic juste pour ne pas proposer un traitement inadapté. Actuellement, il n’existe pas de traitement spécifique pour les stomatocytoses et l’ablation de la rate qui est recommandée pour certains types d’anémies, est ici proscrite du fait des complications graves qu’elle peut induire chez ces patients. » 

Comment la recherche médicale offre-t-elle un espoir pour l'avenir des personnes touchées par cette maladie ?

« L’amélioration des connaissances des mécanismes cellulaires et moléculaires à l’œuvre dans la stomatocytose héréditaire est un gage de la meilleure prise en charge des patients. L’identification des mutations sur PIEZO1 ou KCNN4 qui causent un dysfonctionnement de ces canaux ioniques et l’identification de cibles moléculaires régulant le couplage PIEZO1/KCNN4 sont des connaissances qui pourront être mises à profit dans le diagnostic et le traitement des patients. Mais plus généralement, ces connaissances enrichissent notre compréhension de la physiologie des globules rouges et de la régulation de l’activité des canaux ioniques qui sont présents dans la membrane de toutes nos cellules. L’activité des canaux ioniques est à l’origine des conditions physico-chimiques qui régissent le fonctionnement de toutes les cellules. »